Souffrir d’amour
On vit une enfance paisible avec ses parents, sa famille, ses amis, ses copains, jusqu’au jour où le cœur s’’éveille, sans que l’on s’en rende compte, et voilà que nos comportements changent, que certaines de nos amitiés se fissurent et que nos yeux regardent ailleurs. La femme est apparue !
« Vous êtes normal, mon gars ! » : c’est ce que tout le monde va vous dire dans votre entourage ; vous êtes un homme et le désir et l’amour font partie de la vie des hommes, inscrits dans la nature humaine depuis l’aube de l’humanité! Oui mais voilà : vous ne savez pas que vous allez peut-être devoir souffrir pour cette vérité. Car, si la souffrance physique est visible et humaine, en revanche celle du cœur (ou de l’âme), moins apparente, peut se révéler bien plus dévastatrice sur le long terme, et vous laisser aussi des cicatrices à vie ! Est-ce donc bien de souffrir d’amour pour une personne de l’autre sexe ? Jusqu’où a-t’on le droit de souffrir pour « Elle » ? Jusqu’à quel point, jusqu’à quelle folie ...... cet Être mérite - t’il un tel sentiment aussi profond, aussi affirmé, à son égard ? C’est là qu’apparaît l’ambigüité. Souffrez-vous d’une douleur légitime ou plutôt de narcissisme dans lequel vous immergez inexorablement toute votre personne et que vous entretenez par le simple fait de souffrir ? Je ne me suis pas posé la question, jeune-homme ; j’ai souffert tout simplement.
Oui, j’ai souffert parce-que j’ai désiré très fort, trop fort sans-doute, ce qui n’était qu’une illusion. Car, si je me croyais alors mûr et capable de fixer mon choix pour une personne, j’ai été aveuglé par mes sentiments et n’ai pas pris le recul nécessaire pour poser de manière objective l’analyse et essayer de rester lucide.
Après la première rupture, mon tout premier vrai chagrin d’amour, je me suis mis à pleurer des nuits entières, inconsolable dans ma douleur, que ce soit avec l’aide de mes parents ou de ma sœur. Pendant de longs mois, je guettais le facteur, espérant chaque jour recevoir une lettre de ce pays où nous nous étions connus (et aimés) et chaque jour se ravivait la brûlure ardente au creux de mon âme ! Je peux encore parfois ressentir ses effets, dans un moment de déprime amoureuse ou de conflit avec mon épouse. Cette blessure a laissé son empreinte au plus profond de moi. Tous les objets, tous les lieux qui me rappellent cette histoire ancienne sont devenus mythiques, pour moi, comme si j’eus été obligé de les immortaliser !
La deuxième fois, ce fut à cause de ce que l’on nomme : le coup de foudre ! La « fille en blanc » m’est apparue une nuit sur la piste d’une discothèque (lieu que je ne fréquentais d’ordinaire pas beaucoup). Je la vis devant moi telle une Madone et l’éblouissement fut réciproque. Nos yeux, dès qu’ils se croisèrent, ne se quittèrent plus. Une force incroyable me fit décoller de mon siège, moi le timide, pour me frayer un passage, écartant ses amies du moment et me plaçant face à elle pour danser ! Dès cet instant, nous allions danser en couple, les yeux dans les yeux, avec le sourire des gens heureux sur nos visages. Cette même nuit, nous ne formions plus qu’un jusqu’au matin, dans la pièce unique que j’occupais à Manchester! Les jours qui suivirent furent pareils à un conte de fée et tous les parcs des environs où nous allions nous promener ensemble, main dans la main, étaient comme des jardins d’Eden. Le rayonnement de son visage avait donné un sens nouveau à ma vie quotidienne, pourtant agréable et bien remplie. J’aurais du penser, dans mon bonheur, que tout était arrivé trop vite, que ce que je vivais était trop beau, trop idyllique, et que çà ne pouvait qu’aboutir à un désastre ! Cependant, là encore, j’étais prêt à vivre indéfiniment ma vie entière auprès de cette personne providentielle tant la force de cet amour qui me dominait était puissante. Je l’ai hélas poussée à conclure trop vite, trop tôt. Face au mur, aussi rapidement que le coup de foudre, elle s’est rétractée, réalisant soudain que celui avec qui elle s’était fâché (et dont j’ignorais l’existence) comptait plus que moi dans sa vie. Tout a basculé dans ma vie à ce moment, comme si je tombais dans le vide, et je ne cessais de relire la douzaine de lettres qu’elle m’avait écrite le temps de ce court bonheur. C’est une religieuse, la mère supérieure de l’école de filles où j’enseignais alors, qui me remis la médaille du vaincu ou du salut !
40 ans après, cette histoire heureuse et douloureuse marque encore parfois mon existence et la « fille en blanc » fait son apparition, souvent pendant la nuit ! C’est alors comme si nous étions en plein jour dans un parc magnifique. Point de paroles mais juste un visage d’ange.
Pourquoi cette souffrance (qui ne ressurgit que comme dans un beau rêve) perdure et me hante occasionnellement ? Si je la revoyais un jour, pourrais-je en faire le deuil ?
Pourquoi me suis-je mis à penser ainsi ? (la révolte intérieure)
Pourquoi me suis-je mis à avoir ces idées « dérangeantes » sur le mariage ?
Si je me suis mis à penser de la sorte, c’est peut-être à cause de toutes ces souffrances de l’amour, d’une quête du bonheur jamais assouvie. Je me suis mis à bâtir ce sentiment de rancune, peut-être plus encore envers moi-même qu’à l’encontre de celles qui n’ont pas répondu à mes attentes. Soit c’est qu’elles ne m’avaient pas compris, soit c’est parce qu’elles étaient trop jeunes ou trop incertaines pour s’engager ou bien qu’elles n’avaient pas les mêmes attentes au moment de notre rencontre. Il y a toujours une explication rationnelle en réponse à un sentiment qui ne l’est point.
Ceci explique sans-doute la « haine » que j’ai développée ensuite à l’égard du mariage en tant que force humaine qui vous conduit vers cet état permanent de recherche de l’autre, et de fusion avec, sans que vous n’y laissiez au passage douleur et amertume ! Aussi parce que la force du souvenir est comme un rappel permanent d’un état de vécu euphorique que vous ne connaîtrez jamais plus avec la personne impliquée. Alors, est-ce une vengeance de l’âme (ce qui serait très mal) ou une servitude ancrée à laquelle il est impossible de se soustraire, malgré toute la résistance qu’on y oppose ? Sans-cesse, ce souvenir heureux et malheureux revient m’éprouver de nouveau et parasite ma vie présente : combat de titans !
Tout cela m’a travaillé au point de voir en moi l’amour perdre de sa valeur, si bien qu’aujourd’hui : amour, fidélité, conjugalité, adultère, rupture, n’ont plus la même signification dans la perception que j’en ai, dans mon ressenti, et que je relativise tout, y compris l’importance et le sérieux du mariage.
C’est dommage car j’étais parti dans ma vie d’adolescent avec la certitude de l’existence de l’amour absolu, parfait. J’avais acquis la vision des romantiques et je rêvais d’une histoire à la Roméo et Juliette ou Tristan et Yseult. J’aurais du être plus réaliste et me dire que ces histoires là ont toutes été des histoires malheureuses. Ce n’est pas cet amour là que l‘on peut vivre avec une femme.
Cet amour humain « homme-femme » appartient à ce monde : comme lui, il est temporel, inachevé, imparfait et cassable. Il ne peut conduire au bonheur, et donc, le seul mariage de deux personnes ne peut conduire au bonheur.
La rencontre inattendue : le destin ( ?)
Le destin du rail et le rail pour destin !
Le dimanche 09 juillet 1972 (jour du Seigneur !) marque une date historique de ma vie car c’est le jour où mon destin bascule sans que je le réalise immédiatement. J’étais allé à Londres passer le weekend avec la famille de mon ancien correspondant. J’enseignais alors en tant qu’assistant de français en Angleterre, dans une petite ville des Midlands : Tamworth. Partie des Midlands aussi, ce même weekend, Elle était allée voir son petit ami à Londres et tout ne s’était pas bien passé entre eux. Ce dimanche 9 juillet devait être pour Elle le jour de la rupture. Pour nous deux, c’était le jour du commencement !
Le jour ? Plutôt le soir ! Car, c’est sur notre chemin du retour que tout commence.
Marchant vers la gare, alors que j’avais un horaire de train bien précis en tête, je décide de prendre une dernière photo souvenir : la « Post-Office Tower » (Tour des Postes), l’un des monuments les plus hauts de la capitale anglaise . Comme il pleut souvent en Angleterre, j’avais pris l’habitude de partir muni de mon parapluie. Or, pour prendre la photo, voilà que je suspends mon parapluie noir à une grille noire longeant la rangée d’immeubles Victoriens, dans cette rue dont je ne me souviens plus du nom.
La photo prise, je n’ai qu’une idée en tête : ne pas rater le train et accélérer mon pas. Soudain, je réalise que j’ai laissé le parapluie sur la grille, alors que j’ai déjà fait la moitié du parcours me menant à la gare. Que faire ? Dilemme ! Ce n’était pas tant l’objet qui avait de l’importance, mais ma curiosité qui agissait, car je pensais que ce parapluie serait encore là à m’attendre sur la grille (noir sur noir, quel passant pressé aurait pu le remarquer et se l’approprier ou se serait encombré de la mission d’aller le déposer aux objets trouvés, là où justement l’on regorge de parapluies en tous genres ?) Non, mon parapluie était toujours là : aucun doute ! J’hésitais pourtant quelque secondes entre revenir sur mes pas et récupérer mon bien, ou prendre ce train que je ne voulais pourtant pas manquer.
Une intuition étrange (comme si quelqu’un me prenait par le bras et me disait à l’oreille : allons-y pour l’option parapluie) me fit faire demi-tour jusqu’à la Tour !
Le temps de reprendre ce parapluie qui n’avait effectivement pas bougé, et de m’assurer cette fois que je ne raterais pas le train suivant pour Birmingham, j’étais de bonne humeur quand-même (je me souviens), sans-doute satisfait de n’être pas retourné sur mes pas en vain ! Je n’allais pas regretter cette décision banale.
Car le destin ne s’arrête pas là : sur le train suivant (que j’avais réussi à prendre), je décide de parcourir un certain nombre de voitures via le couloir central jusqu’à ce que je trouve la place qui semblait être la mienne, à côté d’une fille à l’allure naturelle et souriante. J’eus droit à un sourire d’accueil en m’asseyant. Ensuite ce fut l’offre d’un premier bonbon et la conversation s’engagea, mais inutile de vous en donner la tenue car je ne m’en souviens plus du tout. Seul le sourire reste dans ma mémoire ; celui qui m’a sans-doute conduit à lui proposer de partager un pot en gare de Birmingham, avant que chacun ne reparte vers sa ville satellite de résidence, dans les Midlands. Or nos deux villes se situaient aux antipodes : Stourbridge te Tamworth !
Mais voilà, la magie du pub s’opérant, la chaleur du premier verre et de la conversation aidant, ces premiers instants de curiosité réciproque et de découverte l’un de l’autre nous faisaient oublier nos montres jusqu’à ce que nous jugions plus sage d’échanger nos téléphones et de se donner rendez-vous pour prolonger ce temps de conversation. La suite n’est qu’un enchaînement de rendez-vous, de sorties et de visites à sa famille. Le bonheur commençait à s’installer jusqu’à ce que je dusse regagner mon pays, mon contrat d’assistant de français au lycée s’achevant en ce mois de juillet 1972. Notre bel été sera pour l’année suivante : le temps des fiançailles, chez Nous en Provence, dans notre vieille bastide (aujourd’hui démolie). Car, entre temps, il y eut toute notre correspondance, et l’idée de se marier et de concrétiser ce début de sens à notre relation pour lui donner un avenir ne cessa de grandir. Elle répondit à ma proposition écrite de nous unir par une phrase du style « ce serait chouette ! » Cette fois, notre destin commun était scellé. La formalité du jour officiel de l’union, en l’église Sainte Marie et tous les Saints de Stourbridge, le 16 mars 1974 , n’était plus alors , comme je viens de l’exprimer, qu’une formalité de jour officiel.
Je ne savais pas encore, au temps de nos premiers rendez-vous et visites, que le rail Britannique, qui m’a permis de rencontrer ma femme, allait me donner aussi un job pour 21 ans de carrière ! (jusqu’à la privatisation).
Nos eûmes une lune de miel exquise qui nous conduisit jusqu’à Syracuse, en Sicile, en train, pour pouvoir continuer notre conversation sur de bons rails. Et puis j’étais devenu entre temps un cheminot de sa Majesté!
La force de l’amour
Voulant résolument faire preuve d’optimisme, je pense aujourd’hui que la force de l’amour humain est réelle, à condition de savoir l’exploiter. L’amour est plus fort s’il peut être partagé et la quête du partage doit toujours en être le moteur et l’objectif. Je dirais même qu’il ne faut surtout pas le rechercher à tout prix, mais rester en état d’éveil permanent pour l’accueillir lorsqu’il se présente. Car, il se présente au moment même où l’on s’y attend le moins, où on ne l’attend plus !
Ou bien il grandit en toute discrétion à votre porte, jusqu’à ce qu’il devienne évidence à vos yeux. C’est un pari sur le temps qu’il faut faire en restant toujours ouvert aux autres et prêt à les écouter avec la plus grande attention (au lieu de s’écouter soi-même).
La force de l’amour est égale pour tous, mais certains peuvent la laisser passer à deux pas, voire à un seulement et à tout jamais, à moins que Dieu qui nous aime n’ait pitié et provoque cette deuxième chance providentielle (la troisième en ce qui me concerne ou l’unique : cela restera toute ma vie un mystère?)
L’amour nous attend et le chemin à deux restera quand-même difficile après sa rencontre, rocailleux parfois, mais vous passerez tous les obstacles car le lien créé ne pourra jamais se rompre…dans ce cas, vous entrez dans le domaine de l’intemporel. Vous aurez triomphé, abouti dans votre quête et la sérénité vous habitera jusqu’au dernier jour de votre vie. C’est aujourd’hui ma certitude en dépit des doutes qui m’obsèdent et m’accablent parfois.
Bonne chance à votre amour cher lecteur ! Sachez que cette chance vous sera donnée, et que c’est vous seul qui la mettrez en évidence.
DEMOCRATE